Conte
rose et noir
Chaleur
tenace, immuable, assoupissante…couloirs interminables allumés
nuit et jour, aux centaines de portes closes, question-réponse par
interphone. J’ai un dossier, un matricule. Fièvre, touffeur,
solitude…
Alors,
dans la chambre cellule, je vais tirer l’épée magique, tel le
vaillant petit tailleur qui n’avait pour arme qu’une aiguille et
la réalité sera conte. Un à un, ils vont venir…
D’abord
les hommes noirs aux sourires éclatants ceux qui vous prennent dans
leurs bras et vous déposent en riant, avec des tendresses de nounou,
sur les draps bleus. Ils disent que, là-bas, dans leur lointaine et
chaude Afrique, au village, leurs mères, leurs tantes, assises sur
le seuil des cases brodaient en bavardant et leurs yeux brillent avec
fierté, évoquant ce souvenir.
Les
femmes vêtues de blanc viendront : celles qui nourrissent,
lavent, soignent, les yeux cernés par les longues heures de veille ;
elles palpent l’étoffe, s’émerveillent des nuances. Toutes
veulent connaître le secret de l’innocent point de croix, beaucoup
demandent l’initiation… Alors, leurs visages las s’illuminent
car elles ont trouvé une joie mêlée au fil de la vie.
Puis,
ceux qui mentent si bien, qui s’assoient familièrement en vous
prenant la main en disant que tout va bien, les hommes bleus
viennent… Avisant votre ouvrage, ils disent que leur épouse, leur
sœur, présentent les mêmes symptômes et que cette folie est
contagieuse et incurable. Ce sont mes confrères car, eux aussi,
coupent le tissu, piquent, cousent et brodent des histoires
d’espoir....
Que
musées et palais offrent leurs broderies les plus riches et parent
les cloisons. Et vous, sœurs en broderie, amies de mes voyages,
correspondantes fidèles, vous tresserez de vos écheveaux
multicolores l’échelle imaginaire : on s’évade souvent de
hautes tours, fussent-elles celles de Villejuif…
Ainsi
finira le conte rose et noir.
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