mardi 26 février 2013




Conte rose et noir

 




              Chaleur tenace, immuable, assoupissante…couloirs interminables allumés nuit et jour, aux centaines de portes closes, question-réponse par interphone. J’ai un dossier, un matricule. Fièvre, touffeur, solitude…
 

             Alors, dans la chambre cellule, je vais tirer l’épée magique, tel le vaillant petit tailleur qui n’avait pour arme qu’une aiguille et la réalité sera conte. Un à un, ils vont venir…
 

            D’abord les hommes noirs aux sourires éclatants ceux qui vous prennent dans leurs bras et vous déposent en riant, avec des tendresses de nounou, sur les draps bleus. Ils disent que, là-bas, dans leur lointaine et chaude Afrique, au village, leurs mères, leurs tantes, assises sur le seuil des cases brodaient en bavardant et leurs yeux brillent avec fierté, évoquant ce souvenir.
 

             Les femmes vêtues de blanc viendront : celles qui nourrissent, lavent, soignent, les yeux cernés par les longues heures de veille ; elles palpent l’étoffe, s’émerveillent des nuances. Toutes veulent connaître le secret de l’innocent point de croix, beaucoup demandent l’initiation… Alors, leurs visages las s’illuminent car elles ont trouvé une joie mêlée au fil de la vie.
 

            Puis, ceux qui mentent si bien, qui s’assoient familièrement en vous prenant la main en disant que tout va bien, les hommes bleus viennent… Avisant votre ouvrage, ils disent que leur épouse, leur sœur, présentent les mêmes symptômes et que cette folie est contagieuse et incurable. Ce sont mes confrères car, eux aussi, coupent le tissu, piquent, cousent et brodent des histoires d’espoir....
 


              Lorsque le conte devient cauchemar, la souffrance apporte les nuits blanches et les murs nus de la chambre deviennent écran des souvenirs…


              Que musées et palais offrent leurs broderies les plus riches et parent les cloisons. Et vous, sœurs en broderie, amies de mes voyages, correspondantes fidèles, vous tresserez de vos écheveaux multicolores l’échelle imaginaire : on s’évade souvent de hautes tours, fussent-elles celles de Villejuif…


Ainsi finira le conte rose et noir.



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